Tu peux écrire un bon dialogue

you-can-write-a-mysteryAlors que je baignais dans un imaginaire de science-fiction, je suis tombée par hasard sur You Can Write a Mystery1 de Gillian Roberts. Sous ce titre un tantinet racoleur, j’ai trouvé une mine de renseignements sur le métier d’auteur, incluant l’aspect qui me donnait le plus de fil à retordre : les dialogues.

Dans le chapitre Talk About Dialogue, elle explique comment ajouter une touche authentique aux conversations et non retranscrire platement la réalité. Les causeries quotidiennes sont truffées de phrases vides qui remplissent les silences. Ainsi, il faut savoir rendre l’essence d’un échange sans ennuyer le lecteur, mais aussi marier la parole avec l’action. Car en plus des mots, une discussion fournit une multitude d’informations sensorielles : l’interlocuteur peut avoir les yeux rougis, le débit lent et une haleine d’alcool qui se mélange à l’arôme du café fumant. Ces détails sont incontournables pour faire croire au lecteur qu’il est assis à la même table que les protagonistes.

C’est évident, direz-vous, mais comment cela s’applique-t-il concrètement ? Voilà la force de cet ouvrage, il y a des exemples avant/après qui illustrent l’explication. Voici un exemple tiré de Rannaï – Tome 22. Dans cet extrait, Issarie est seule en forêt. Lorsqu’elle entend des craquements étranges, elle ouvre son canif et aperçoit Oko Barres qui surgit à travers les branches d’un pin. Le jeune homme lui explique qu’il cherche le chemin de fer, puis, affaibli par son voyage d’études dans la colonie scientifique basée sur la Lune, il trébuche et reste assis au sol.

— C’est toi la fille que j’ai aperçue dans la forêt près de ma maison ? Tu avais un bébé, non ?
— Tu me reconnais ?
— C’est sûr !
— Tu t’es fait mal aux jambes ?
— Pas vraiment… C’est que je reviens de la Bulle scientifique et je n’ai pas regagné toute ma masse musculaire. Je n’aurais pas dû partir à pied.
— Les rails sont proches de ta maison. Tu n’avais pas le choix de les traverser pour venir ici.
— C’est vrai… mais je ne savais plus quoi faire, alors j’ai décidé de suivre le sentier que j’avais trouvé. Et là, je t’ai entendue.
— Peux-tu marcher ?
— Oui. C’est correct. Au pire… je téléphonerai.

Le même dialogue avec des détails visuels et des réflexions.

— C’est toi la fille que j’ai aperçue dans la forêt près de ma maison ? Tu avais un bébé, non ?
— Tu me reconnais ?
— C’est sûr !
Mal à l’aise, il releva ses genoux lentement et les retint avec ses bras, mains jointes.
— Tu t’es fait mal aux jambes ?
— Pas vraiment… C’est que je reviens de la Bulle scientifique et je n’ai pas regagné toute ma masse musculaire. Je n’aurais pas dû partir à pied.
La Lune, à son âge ? Issarie n’allait pas avaler ça. Tout à coup, elle se souvint qu’elle avait croisé le chemin de fer avec Pego en fuyant le domaine des Barres : il lui mentait.
— Les rails sont proches de ta maison. Tu n’avais pas le choix de les traverser pour venir ici.
— C’est vrai… mais je ne savais plus quoi faire, alors j’ai décidé de suivre le sentier que j’avais trouvé. Et là, je t’ai entendue.
Son maintien était mou. Sa tête penchée sur une feuille qu’il triturait avec minutie n’avait rien de l’attitude d’un agresseur. Issarie replia la lame.
— Peux-tu marcher ?
— Oui. C’est correct. Au pire… je téléphonerai.

Parce qu’il démystifie la profession d’écrivain avec pragmatisme, l’ouvrage de Gillian Roberts apparait au sommet de ma liste des meilleurs livres techniques.

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  1. Disponible à la BAnQ : ROBERTS, Gillian. You Can Write a Mystery. Writer’s Digest Books, Cincinnati, 1999, p. 93-94
  2. RAYMOND, Karine. Rannaï – Tome 2. Éditions Druide, Montréal, 2016, p. 78-79.